(Début d’) Année Sagan. J’ai dévoré en quelques jours son Derrière l’épaule… Fini hier, avec délice, relevant de nombreuses citations dont une notamment sur l’amitié qui correspond tout à fait à ma propre vision de l’amitié et que je vais mettre en exergue d’une partie d’Echoes.
Je ne pensais pas me prendre d’une telle amitié un jour pour Sagan car j’avoue l’avoir jugée a priori comme une auteur de romans d’amour (ce qui n’est pas faux) mielleux et sans profondeur (ce qui est extrêmement faux puisque c’est la justesse de la psychologie qui me fascine avant tout, quel que soit son roman ou l’histoire). J’aime aussi son attitude, sa perception de la vie et de ce qui la compose. Et par-dessus tout le respect qu’elle a instauré quant à sa vie privée, une imperméabilité et une sincérité au regard de l’une et de l’autre de ses personnalités. Je crois avoir vu des documentaires et des films sur elle qui m’avaient fait penser qu’elle jouait un rôle en affichant volontairement sa vie privée comme une actrice sur une scène de théâtre. Or, je découvre un personnage-auteur sincère et respectueux de l’autre (de la main qu’il utilise pour écrire) fascinant.
Elle me fait penser, par certains côtés, à Patti Smith, je ne saurais explicitement dire pourquoi, peut-être justement par sa sincérité.
Et je me trouve aussi certaines accointances avec elle (je parle toujours, bien sûr, du personnage-écrivain) comme cette façon d’être anticonformiste, pas tellement par esprit rebelle - comme beaucoup de gens font vite l’amalgame quand on parle d’anticonformisme -, mais parce qu’il est chez elle naturel et qu’elle suit plutôt ses aspirations que les prescriptions extérieures. Elle peut les suivre si elle les trouve en adéquation avec ses principes directeurs mais n’hésite pas à s’en détourner ou s’en écarter si elle sent que cela sera une forme de non-respect à soi-même. Bref, elle sait se respecter elle-même et ainsi mieux respecter les autres tout en demeurant fidèle au principe vital de liberté.
Je ne me sens moi-même pas tant rebelle que ce qu’on peut dire parfois de moi, c’est simplement que ça me semble évident de ne pas suivre les codes établis puisque, si certains peuvent correspondre à d’autres, les mêmes ne me correspondent pas, et que je ressentirais comme une violence de m’obliger à les suivre. Je fais mon petit marché. Je suppose que, dans la définition, cela me classe dans la « catégorie des anticonformistes ». Mais je crois être parvenue au point où je ne considère tout simplement pas le conformisme possible. Pour moi, c’est un aveuglement, une aliénation, qu’on s’inflige soi-même parce qu’on n’a pas encore essayé de se donner la possibilité d’agir ou de penser autrement. On se dit que c’est « impossible » de faire autrement, on s’aveugle. On s’est persuadé que les choses (c’est-à-dire les évènements, les sentiments, les émotions, le vécu, …) n’avaient qu’une facette, alors qu’il suffit d’une fois, une seule fois, prendre un peu de distance, faire un pas de côté, pour voir l’arrête réfractant la multitude de facettes possibles d’un seul prisme. Chaque élément de la vie est un diamant aux mille reflets possibles.
Voilà tout ce à quoi me fait réfléchir Sagan. Et à bien d’autres choses. J’ai commencé à la lire en janvier je crois, durant la fin des vacances de Noël, j’en ai lu cinq autres depuis, et je ne crois pas en avoir fini.
« Anticonformisme » (puisqu’il faut bien utiliser les mots établis par le dictionnaire pour être compris) de Sagan par ses idées à l’origine de livres. J’ai lu des Bleus à l’âme, expérimentation juxtaposant, chapitre par chapitre, la narration et sa méta-analyse d’écriture et plus si affinités. Dans Derrière l’épaule…, elle décide de relire tous ses propres livres, ce qu’elle n’a jamais fait jusqu’alors, et de les commenter, critiquer, parfois avec bienveillance, souvent avec intransigeance, et de convoquer la période d’écriture de chacun d’eux. Voilà deux prétextes de livres qui n’avaient jamais été utilisés auparavant, de ces prétextes qui peuvent rendre jaloux les autres auteurs de ne pas avoir eu l’idée avant.
En fait, ils ont peut-être été nombreux à en avoir l’idée avant Sagan, mais un texte est le résultat d’une action, de la « mise en œuvre » d’une idée. Écrire c’est donc aussi oser et ne pas brimer une idée naissante en se disant qu’elle ne sera pas intéressante, tuant la potentielle fécondation dans son œuf.
De mon côté, je pense à cette idée de journal d’écriture auto-commenté. Que dis-je, « une idée », puisqu’il est fait ! Il tient un fichier de près de 1000 pages dans un dossier à son nom. Il attend la prochaine étape.
Je savais, lecteur clandestin, que toute lecture commence par une effraction mais qu’au bout d’un moment le lecteur devient l’ami de ce qu’il a violé, que son audace ou sa persévérance lui donnent un droit mystérieux sur l’univers du livre, qu’il peut enfin, fantôme-voyeur, aimer ouvertement les pages qu’il hante, se les approprier, s’en souvenir, s’en nourrir, en revendiquer désormais, à la face du monde, la musique ou les images.
Pierre Péju. La Vie courante. p. 142.
Mais demain je lirai un nouveau roman qui me parlera aussi de la jalousie et qui en renouvellera ma connaissance. Infinie variété des expériences humaines à laquelle répond l’infinie inventivité des romans. Ainsi, je découvre le monde, le roman me le fait connaître car il m’enseigne ce qu’est y être sujet, et aucune expérience humaine réelle, fût-elle riche et pleine et comblée, ou aventureuse et surprenante, aucune expérience, parce qu’elle est nécessairement limitée, ne peut donner à éprouver et à comprendre le millième de ce que la lecture nous apprend. « Hommes, regardez-vous dans le papier », nous dit Henri Michaux.
Belinda Cannone. L’Ecriture du désir. p. 30.