Emménagement dans notre – B. et moi - nouvel appartement (dont nous sommes pour la première fois propriétaires) il y a un mois. Nous avons vécu quatre déménagements avant celui-là. À chaque nouvel emménagement, mes livres étaient parmi les premiers cartons que je déballais et que je prenais le temps de soigneusement réinstaller afin de me sentir bel et bien chez moi. Ils sont mes repères dans l’espace autant que dans le temps.
Cette fois, pour notre premier déménagement à trois, mes livres sont restés en cartons près d’un mois avant que je ne les déballe. Et ils n’ont même pas de bibliothèque encore pour pouvoir les accueillir. Je ne sais même pas quand ils pourront en avoir une. Ils sont entassés dans un meuble laissé là par l’ancienne propriétaire et qui servait de coffrage au radiateur de la salle. Je ne peux fouiner ni même piocher dans ma bibliothèque sans que toute les piles s’écroulent. Cette fois, la première pièce que j’ai installée et arrangée avec soin est la chambre de mon fils parce que je voulais qu’il retrouve ses jouets, ses propres livres (déjà très nombreux) et qu’il se sente bien dans son nouvel environnement. Nos priorités changent.
Je pensais encore à Patti et cette fois à son Glaneurs de rêves. Je pensais à une de ses réflexions à propos de l’enfance. Je croyais avoir noté cette citation dans mon carnet (numérique, et donc toujours à portée de main) mais je ne l’ai pas trouvée. Alors j’ai tenté de voir s’il était possible de me coltiner à ces piles précaires pour retrouver mon livre mais il semble être dans les piles les plus reculées de l’enchevêtrement, impossible donc d’y accéder sans tout vider (ou que les piles me tombent sur la tête).
C’est frustrant. Et, en même temps, la privation de ma bibliothèque va peut-être me forcer à faire travailler ma mémoire. J’ai parfois trop vite fait d’aller vérifier dans le livre auquel je pense plutôt que de me coltiner à ma propre mémoire dont l’équilibre est sans aucun doute plus précaire que mes piles de livres stockés dans le meuble-coffrage du radiateur.
Patti réfléchissait à la capacité des enfants à prêter vie à tous les objets qui les entourent et à leur donner même une parole, une histoire.
Outre les peluches (ourson, lapin, humanoïdes étranges et animoïdes sans nom) pour lesquels on accepte plus facilement l’octroiement d’une animation (parce qu’ils représentent, plus ou moins, « quelque chose de vivant »), nous, adultes, sommes plutôt sceptiques quand il s’agit par exemple de petites voitures, parce que ça ne colle pas avec notre réalité. Dans la « vraie vie », les voitures ne parlent pas, et elles n’ont pas d’âme ni de sentiments. Mais pourquoi notre réalité d’adulte serait-elle plus « vraie » que la réalité des enfants ?
Pour mon fils, ses petites voitures se parlent entre elles, ses motos Duplo se racontent des blagues tordantes, le scooter téléguidé sur lequel se déplace Mario se fait mal quand il tombe et il a droit à un câlin. Et les animaux (quelle que soit la forme de leur représentation : avec des poils, en bois ou même dessinés sur le papier) sont tous bien sûr doués de parole. Il me tend une de ses motos, garde l’autre pour se mettre en face et commence la discussion avec un « Bonjour, ça va ? » et moi de prendre une autre voix pour répondre et participer au jeu qu’il me propose, le sourire lumineux apparaissant lorsqu’il comprend que je joue le jeu. Son imagination n’a pas de limites parce qu’elle n’a pas encore été pervertie à coup de « réalités vraies » arbitraires, de « Mais non, ça ne marche pas comme ça », et peut-être aussi parce que je me garde bien de lui en faire la leçon. Moi qui, en tant qu’écrivain, ai pourtant souvent de la peine à porter mon imagination hors des cadres du réel, sans doute mon fils a-t-il beaucoup à m’apprendre. Et je serais idiote de lui couper la chique d’emblée en lui assénant un « sens des réalités » qu’il apprendra bien assez tôt - mais pas de cette façon-là, pas avec des « ça n’existe pas », pas de mon fait en tout cas.
Très jeune, on brime l’imagination des enfants en les assommant de morale sur ce qui existe ou pas. Mais quand les voitures ne parlent plus, que les motos n’ont plus de discussions désopilantes, les scooters téléguidés plus de douleurs, une fois que les enfants ont intégré notre réalité, nous, adultes, sommes déçus. Et on voudrait qu’ils reviennent à l’émerveillement du jeune enfant en les assommant de contes Disney et en les tenant surtout à l’écart des « images violentes ». Mais un enfant n’a peur d’une image de zombie que si nous lui avons appris que les zombies font peur.
On oublie qu’ils n’ont pas nos jugements de valeur, nous qui sommes pétris de préjugés.
Un autre auteur me fascine et je retourne régulièrement vers ses livres avec confiance car je sais que tous ses livres me plaisent (à quelques rares exceptions) : Stephen King.
Il n’est pas, selon moi, tant le maître de l’horreur que celui de la littérature sur l’enfance. C’est comme s’il était capable de retrouver son corps d’enfant, ses sensations, et surtout de poser le regard de l’enfant sur le monde et les émotions non selon le processus classique de l’adulte qui écrit un personnage d’enfant en tentant de se mettre dans sa peau, mais de l’enfant qui écrirait prenant pour médium l’adulte écrivant. Je retrouve dans ses écrits les nuances de mes sensations, émotions et sentiments d’enfant. Et le mot clé est « nuances ». L’adulte a trop tendance à simplifier la complexité infantile parce qu’il simplifie ce qu’il ne peut (ou ne peut plus) concevoir et qui lui est étranger.
Ainsi donc en a-t-il été de la peur infantile pour moi : je ne l’ai pas oubliée. Et je n’ai surtout pas oublié à quel point la peur a été un élément essentiel de ma construction. Sans elle, je n’aurais sans doute pas écrit.
Aussi n’ai-je pas à cœur l’évitement de la peur pour mon fils. La peur est le signe d’une forte imagination (puissante et vivante). La peur des monstres et des images violentes est une arme : c’est par elle que l’enfant peut maîtriser sa peur du monde « réel » finalement plus barbant que tout bon film d’horreur.


Un écrivain doit lire. J’ai longtemps enseigné l’écriture créative et souvent je découvrais que les étudiants ne lisaient pas. C’est comme vouloir être compositeur et ne jamais écouter de musique.
James Lee Burke dans L’Amérique des écrivains (de Pauline Guéna). p. 320.
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