Je me retrouve ce soir face à un moment de solitude que je n’avais pas anticipé. Il est difficile à appréhender.
Une solitude pas difficile en elle-même. C’est plutôt sa soudaineté qui est perturbante, après l’agitation et les conversations.
Je vais peut-être simplement finir ma cigarette et me mettre au lit avec Patti Smith.
Sa façon de se lancer dans l’écriture sans avoir quelque chose en tête, de laisser les mots la faire voyager, me ramène à l’écriture journalière que je laisse trop facilement de côté. Je redécouvre pourtant chaque fois sa pertinence et ses bienfaits. L’écriture journalière est faite du lyrisme et de l’instantanéité qui me manquent parfois. Ce qui me ramène à cet essai-journal qui se prête bien lui aussi à l’hiver, aux maisons chauffées, au froid retenu dehors. Si je l’écoutais, je me mettrais à l’ouvrage immédiatement, mais je ne m’arrêterais pas de toute la nuit et je sens également mon besoin de sommeil.
Plus tard.
Au lit. Encore toute grelottante. Attendant que les couvertures se réchauffent au contact de ma peau.
Je pensais à Patti en me brossant les dents. Je l’appelle toujours Patti comme on parle d’une amie connue depuis longtemps.
Chaque nouvelle rencontre avec elle est ahurissement, ravissement, essentielle. Il s’agit bien chaque fois d’une nouvelle rencontre entre un fragment d’elle et de moi. Rares sont les auteurs qui m’emportent à ce point. C’est aussi pour cela que j’aime la côtoyer épisodiquement : non seulement à cause de l’intensité de chaque rencontre mais aussi parce que son écho se répercute en moi longtemps et quotidiennement, et enfin, pour me laisser d’autres rencontres à faire encore (elle n’écrit pas assez de livres, j’ai peur d’être à court !).
Je ne suis pas de ces lecteurs qui, transcendés par un auteur, s’immergent complètement dans son univers, lisent tout de lui d’une seule traite. Je l’ai été pourtant, avec Michael Cunningham et Virginia Woolf par exemple alors pourquoi ne le suis-je plus ? En fait, cela dépend des auteurs. Mais, avec Patti, j’ai besoin de temps, j’aime pouvoir laisser cet univers de côté pour me laisser la possibilité d’y être de nouveau aspirée, découvrir d’autres facettes. Il arrive parfois que la nouvelle rencontre soit une déception mais très rarement, et pas avec Patti. Je préfère laisser le temps à la propagation de chaque écho.
Encore mon fonctionnement fragmentaire sans doute, dans chaque pan de ma vie toujours. J’ai simplement compris : c’est ainsi que je fonctionne. Dans la sphère du raisonnable et du rigide, je devrais mettre de l’ordre et de la logique. En tant que lectrice, j’en viens donc à avoir une liste sans fin d’auteurs à lire intégralement. Je parviendrai peut-être un jour à rayer tous les noms mais j’en doute. Ce doute, cet espoir, sont enthousiasmants : encore tant de choses à lire ! Je ne serai jamais à court.
C’est encore plus grisant quand je sais d’avance que ces lectures vont me plaire. Je me laisse porter au gré des élans, tout comme j’ai eu envie il y a quelques jours de revenir vers Patti. Et elle était là, elle m’attendait.
Je l’ai rencontrée pour la première fois enfant, par sa musique, découverte auteur avec son autobiographie, Just kids, étant jeune adulte, puis la Patti lectrice et agrégatrice d’influences dans le documentaire Dream of life. Et aujourd’hui, M Train.
Sa sincérité chaque fois me touche, l’apparente simplicité de son style, cette pensée pourtant si complexe, si profonde, intime, pénétrante. Elle écrit comme elle pense : en s’éparpillant lentement, en partant, en revenant, en constatant, en racontant, tout en prenant le temps, en le soumettant au temps de l’écriture, sans chercher à tout comprendre. Elle porte sur le monde un regard serein et tranquille, par le prisme de son humanité visionnaire.
Et puis, tout à coup, à la fin d’un paragraphe, toute la profondeur se révèle. On réalise qu’elle n’a pas seulement contemplé mais qu’elle voit et comprend avec clairvoyance et sérénité. Et elle n’a pas besoin d’en dire beaucoup : ce sens profond qu’elle insuffle, cette petite phrase qui pourrait passer inaperçue.
Plus tard.
Il me reste seulement cinq pages de M Train à lire. Et ma tablette fait des siennes : elle me repositionne chaque fois en début de chapitre, comme pour embrayer sur mon envie de demeurer encore dans la découverte de ce livre. Il devrait faire 1000 pages ! À peine 300, ce n’est pas assez !
Sur la table, à côté de moi : un gros paquet d’un éditeur, trop gros pour être une bonne nouvelle. Encore un manuscrit qui revient et qui va repartir vers un autre éditeur demain. Je continue.
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